Interview

Rencontre avec Orravan Design, customiseur de chaussures de foot

Publié le 01/08/2017 Mis à jour le 21/03/2022

Depuis 2007, on lui doit les chaussures originales personnalisées  d’Aubameyang, Drogba ou encore les "Olive et Tom" de Podolski. Lui, c’est Pierre d’Orravan Design qui nous a ouvert les portes de son atelier pour partager son univers. L’artisan, plutôt qu’artiste comme il aime se décrire, raconte son parcours, ses anecdotes, explique les subtilités de la customisation et donne aussi son avis sur l’évolution des chaussures de foot. Entretien avec un homme passionné et passionnant.

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Pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment en êtes-vous venu à la customisation ?

Je m’appelle Pierre Navarro. J’ai commencé à customiser mes premières chaussures pour le plaisir en 2000. C’était une paire de sneakers Nike Huarache. En fait, j’aimais bien le modèle mais pas sa couleur donc j’ai décidé de le customiser ou plutôt le repeindre comme j’appelais cela à l’époque. Le résultat a été plutôt bon, ç’a plu à des potes donc j’ai recommencé l’expérience pour une autre paire. Puis cinq puis dix et ainsi de suite.  De 2000 à 2007, j’ai fait ça pour le plaisir, comme un hobby. Mais petit à petit, c’est devenu sérieux. J’ai été invité par des marques pour faire des concours aux Etats-Unis. J’en ai même remporté certains. En janvier 2007, alors que j’avais un bon poste chez Footlocker, j’ai décidé de créer ma structure professionnelle et en faire officiellement mon métier. Orravan Design existe donc depuis 2007.

D’ailleurs, pouvez-vous expliquer ce nom ? Orravan.

Orravan c’est tout simplement mon nom de famille à l’envers. Mais Orravan, ça faisait peut-être un peu simple et il ne reflétait pas forcément mon univers donc j’ai ajouté Design derrière.

Combien de personnes sont derrière Orravan Design aujourd’hui ?

Je travaille avec ma femme Maheva. Je lui ai transmis tout mon savoir-faire. Sinon, on bosse aussi parfois avec des extras sur certaines périodes mais plutôt sur du textile comme des vestes en cuir, etc. Mais en règle générale, on bosse à deux et demi, dirons-nous.

A quand remonte votre première customisation pour une chaussure de foot ?

Cela remonte à 2007. Quelques mois après avoir créé la structure, j’ai rencontré Didier Drogba. Je lui ai fait tout d’abord des modèles classiques qu’ils pouvaient porter en dehors des terrains comme des Air Force 1. Et un jour, il m’a sollicité parce qu’il allait disputer un match qualificatif pour la CAN. C’était un match particulier car c’était le premier match disputé en Côte d’Ivoire depuis  plusieurs années à cause des troubles qu’a connus le pays à cette période. Il voulait marquer le coup puisque cette rencontre qui devait se disputer à Abidjan avait été déplacée à Bouaké, qui était le fief des rebelles. Donc il m’a demandé de lui faire une paire spéciale qui devait être un symbole de la réunification du pays. La thématique qu’il m’a proposée était donc la paix en Côte d’Ivoire. Donc Didier Drogba est le premier joueur de foot à m’avoir demandé une paire spécialisée.

Mercurial Superfly pour Bakary Sako

Mercurial Superfly pour Bakary Sako

Il s’agissait donc d’une Mercurial Vapor que vous avez dû modifier. Est-ce que cela a dérangé Nike ?

Non, du tout. Cela n’a ni gêné ni interpellé Nike car c’était une initiative qui avait une forte valeur pour le joueur. Il faut savoir que Didier a offert sa chaussure droite au président de l’époque, Laurent Gbagbo, et l’autre à Guillaume Soro, le premier ministre et ex-représentant des rebelles. Ce geste-là symbolisait cette réunification et je sais que chaque paire a orné le bureau des deux politiciens. Donc cette paire était vraiment spéciale et représentait bien ce qu’est Didier. Un homme très engagé pour son pays et pour l’Afrique. Un tabloïd anglais a récemment sortie une histoire sur lui mais pour le connaître un peu, je peux vous dire qu’il a toujours été sincère dans son engagement.

Comment avez-vous appris les techniques de customisation ?

J’ai appris ça de manière autodidacte en essayant des choses. Quand j’ai commencé, j’étais sur la réserve quant à mes capacités car je n’avais jamais pris de cours, etc. C’est pour cette raison que j’ai du mal à me considérer comme un artiste. Donc quand j’ai commencé, c’était pas mal de bricolage car des cours de personnalisation ou de custom n’existaient pas et que les cours de peinture ne correspondaient pas vraiment à ce que je faisais puisque les peintures utilisées et les supports étaient différents. Mais un jour, une amie qui avait fait une école d’art m’a dit : « Ce qui est bien avec les écoles, c’est que l’on t’apprend des techniques et tu n’as pas besoin de te prendre la tête après. Il faut juste les appliquer. Mais le problème avec ça, c’est qu’il faut payer pour que l’on t’enseigne ces techniques et que l’on ne t’apprend pas à trouver des solutions par rapport à des problématiques uniques rencontrées. On te dit juste d’appliquer des techniques. Donc si tu fais face à des problématiques nouvelles, tu ne vas pas avoir la créativité et la réflexion pour les résoudre et les contourner. » Tout ça, je l’ai donc appris tout seul sans être formaté par des techniques particulières ou un apprentissage stricte. La créativité que je peux avoir et le fait de mixer plusieurs techniques sur différents supports ne peuvent pas s’apprendre à l’école. Donc au final, le fait d’apprendre seul ce métier a sans doute fait notre particularité avec Maheva.

Des équipementiers vous ont-ils contacté officiellement pour des collaborations ?

Oui, c’est arrivé. En juillet 2015, on a fait une collaboration officielle avec adidas dans leur boutique des Champs Elysées. On a customisé pendant trois semaines des produits pour les clients. On a aussi travaillé avec un groupe de la marque Kappa. Mais mis à part, on n’a pas reçu de demandes officielles de la part des équipementiers. Ce qui peut logiquement s’expliquer. Nike, par exemple, embauche des centaines de créatifs pour avoir des bonnes idées donc prendre des personnes de l’extérieur pour avoir ces bonnes idées paraîtrait étrange ou serait mal perçu. Ça ne les empêche pas de s’inspirer des designers « amateurs » car le mouvement du custom a explosé et les créations d’artistes amateurs se partagent rapidement sur les réseaux sociaux. Plusieurs « amateurs » ont des thématiques qui cartonnent donc ça peut être une source d’inspiration pour les marques.

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Combien de temps prend la customisation d’une chaussure ?

Ça dépend, ça peut prendre 5 minutes comme des  jours voire des semaines. Pour l’opération adidas, les customisations nous prenaient 15 minutes par paire, par exemple. Tout dépend de la demande, de la difficulté de la thématique. Parfois, on nous demande même de faire des packagings donc ça peut prendre du temps. A la différence d’un équipementier, notre but c’est le résultat. C’est de pousser l’idée le plus loin possible. Les marques réfléchissent différemment. Elles ont plus de contraintes financières liées au coût des matières premières et à la marge par la suite. Au final, leurs très bonnes idées sont parfois biaisées à cause de ces contraintes. Les produits sont bons à la sortie mais ils auraient pu être meilleurs. Nous, on n’a pas de contraintes de temps et de contraintes commerciales car notre but demeure vraiment de coller à la demande et l’attente de notre client quitte à pousser le produit très loin dans le détail. C’est pour ça que les personnes sont aussi sensibles à ce que l’on fait et sont demandeurs.

Qu’est-ce qui est le plus difficile lorsque l’on customise une chaussure de foot ?

Les modèles haut de gamme sont en général très techniques. Je parle de modèles haut de gamme car la majorité de nos demandes sont faites par des joueurs professionnels même si on peut très bien travailler sur des modèles entrée de gamme ou milieu de gamme. Mais pour revenir aux modèles haut de gamme, ils sont très techniques car la majorité d’entre eux sont aujourd’hui en synthétique. Et les matières synthétiques sont plus difficiles à manipuler que le cuir véritable. Ce qui est paradoxale, c’est que les modèles synthétiques sont moins confortables que les produits en cuir. Et plusieurs athlètes, tous sports confondus, partagent cet avis. C’est aussi sur ce point que l’on peut critiquer les marques et que l’on en revient à ces problématiques commerciales. Aujourd’hui, les marques ont pour logique de vendre des produits plus chers mais moins chers à produire. Et cela impacte aussi les sportifs de haut niveau. C’est vraiment dommage.

adidas F50 "Togo" pour Adebayor

adidas F50 « Togo » pour Adebayor

Mais comment fonctionne la customisation concrètement ? Vous prenez un produit fini que vous retouchez, repeignez ou vous démontez toute la paire pour en faire une nouvelle qui aura pour le coup des caractéristiques différentes ?

Les deux sont possibles dans l’absolu mais c’est coûteux pour nous comme pour le client donc du coup, on essaye de contourner le problème en reprenant la base de la chaussure que l’on retravaille après.

Vous parliez des matériaux synthétiques mais il existe aussi des empeignes en maille aujourd’hui. Est-ce aussi difficile à retoucher ?

Ces mailles sont aussi du synthétique donc la problématique est la même que pour les autres chaussures synthétiques. Ce que je pense de ces nouvelles chaussures, c’est qu’elles font certes gagner en légèreté mais ça se joue à une centaine de grammes. 100g, c’est quoi dans la tenue d’un footballeur ? Un bandeau à chaque poignet. Deux paires de chaussettes au lieu d’une ? Bref, ça reste une différence minime. Je ne pense pas que la légèreté soit un élément déterminant pour l’athlète. Par contre, je pense que le confort est primordial. De plus, toutes ces technologies de maille sont les mêmes que pour le textile. Ça existe donc depuis plusieurs années, il n’y a rien de très innovant en réalité. Mais fabriquer une chaussette renforcée et y ajouter une semelle avec des crampons, ça coûte toujours moins cher que de prendre du vrai cuir, le découper, le piquer, le monter, etc. Au final, on se retrouve avec des chaussures plus légères mais aussi plus faciles à fabriquer, plus fragiles donc moins durables et qui sont vendues plus cher que les anciennes chaussures en cuir comme la Copa Mundial. Ce n’est pas normal.

Parlons des dernières chaussures d’Aubameyang. Leur réalisation a-t-elle pris beaucoup de temps  ?

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C’est vrai que de base, le produit n’a pas du tout les mêmes codes couleurs et que l’on a dû tout retravailler. Mais ce n’est pas la paire qui nous a pris le plus de temps à customiser. Ce qui est certain, c’est que l’on y a attaché une attention particulière car on savait que la paire allait être portée en match donc on devait sûr qu’elle soit nickel, bien résistante, etc. Il faut savoir que l’on travaille depuis plusieurs années avec Pierre-Emerick Aubameyang. C’est le premier joueur qui nous a demandé du cristal sur ses chaussures par exemple.

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Donc on a l’habitude de bosser avec lui et une relation particulière s’est créée entre nous. Même s’il jouait en amateur, on porterait autant d’attention au produit final. Mais pour revenir sur cette paire, certains aspects étaient faciles à travailler comme les couleurs mais aussi le logo de Dortmund que j’ai facilement reproduit. Après, il fallait que les chaussures restent des Mercurial avec le logo Nike et les mêmes éléments que la paire traditionnelle. Pour les étoiles, c’est une chose qui plaît beaucoup à Aubameyang donc on a accentué ça. C’est vrai qu’il est aussi fan de Batman mais ça aurait été too much donc on a préféré se contenter des étoiles.

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Les retombées ont été fortes, avez-vous eu des demandes de médias étrangers par la suite ?

C’est justement le problème des réseaux sociaux. Alors oui, la photo a été postée puis partagée par plusieurs personnes ou médias mais tout le monde ne nous a pas forcément mentionné ou tagué derrière. Du coup, l’information qui provenait de nous à la base a été diluée. On a quand même eu des bonnes retombées, c’est indéniable. Après, la majorité des gens ont dû penser que c’était Nike qui avait designé les chaussures et non pas un petit artisan indépendant. Ceux qui suivent de près Aubameyang ont peut-être assimilé la paire à Orravan Design car on réalise plusieurs produits pour lui mais le novice, s’il voit une virgule sur la paire, il va se dire que c’est du Nike et c’est normal, on ne va pas lui en vouloir. C’est sans doute notre limite aujourd’hui. On bosse sur des bases qui ne sont pas les nôtres. Les gens vont reconnaître les logos Nike, adidas, Puma mais pas forcément la patte Orravan Design.

A ce jour, combien de joueurs pros vous ont commandé des paires ?

Hum… Je pense que l’on doit être aux alentours de 120 joueurs si l’on compte les chaussures lifestyle. Mais pour des demandes spécifiques pour le terrain, ça doit se réduire à une quarantaine.

Et recevez-vous souvent des demandes farfelues ?

Mais on aime les demandes farfelues (Rires). En fait, j’adore les challenges et les demandes particulières sont un challenge. Avec Maheva, on déteste faire toujours la même chose. On essaye toujours de se réinventer car notre but est vraiment de réaliser à chaque fois une paire unique au monde. C’est le but de la customisation. Je parlais tout à l’heure d’une demande de Pierre-Emerick Aubamayang qui voulait une paire 100% en cristal. Ça constituait un vrai défi mais on a pris du plaisir à le relever parce que la matière ne s’y prêtait pas et qu’il fallait qu’elle tienne le rythme d’un match de très haut niveau.

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Comment expliquez-vous cette tendance à la personnalisation ?

Je pense que c’est lié à notre société. Quand j’ai commencé la customisation. Les gens portaient uniquement des modèles produits par les marques. Il ne fallait pas dénaturer le produit de base. Aujourd’hui, la société a évolué. On est passé d’une uniformité à du tout personnalisé. Il y a quelques années, tout le monde avait plus au moins les mêmes cuisines, le même intérieur mais de nos jours, les gens souhaitent se démarquer, transposer leur personnalité sur les objets qu’ils possèdent. Forcément ça passe par des styles vestimentaires plus personnels et donc par la customisation. Pour démontrer cette évolution des mentalités, on peut prendre l’exemple du tunning. Au début, c’était très marginal et plutôt mal perçu mais aujourd’hui, les grandes marques proposent presque les mêmes possibilités de personnalisation. Et ça ne choque pas.

Combien coûte une customisation ?

Ça dépend de la demande. Ça peut aller d’une dizaine voire une trentaine d’euros pour de la simple pose d’initiale en cristal à plus de 3000 euros pour une paire entièrement en cristal sans compter le packaging quand on me le demande. Mais en général, le bon budget pour une customisation se situe aux alentours de 250 euros. C’est déjà une grosse somme mais qui permet de vraiment modifier l’aspect d’un modèle original car c’est le but de la customisation.

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Votre clientèle est-elle uniquement basée sur des sportifs de haut niveau ou des célébrités ?

Non, pas du tout. C’est vrai que l’on a eu la chance de croiser la route de Didier Drogba quelques mois après la création d’Orravan Design, qui nous a permis d’avoir une bonne exposition et des clients « reconnus » avec un fort pouvoir d’achat. Maintenant, on reste des artisans qui ne sont pas du tout dans le star-système donc on accueille de la même façon les demandes de personnes inconnues. On ne traite pas nos clients de manière différente.

Comment fait-on pour se faire customiser une paire par Orravan Design ?

(Il sourit). Bon pour le moment c’est vrai que c’est un peu compliqué d’entrer en contact avec nous car on fonctionne depuis plusieurs années grâce au bouche-à-oreille. Mais on souhaite changer ça et c’est pour ça que l’on s’est lancé dans les réseaux sociaux. On n’a pas de grands réseaux de communication donc il faut nous interpeller sur nos comptes Facebook, Instagram, notre site web ou par e-mail. Après, on échange par téléphone, par e-mail pour essayer de dégrossir le projet et parfois même pour envoyer des croquis avant l’envoi d’un devis. Ensuite, le client accepte ou non le devis et si c’est ok pour les deux parties, on y va. Mais nous sommes en pleine réflexion pour améliorer notre communication et nos services.

Pour finir, pourriez-vous me donner ton Top 3 des chaussures que vous avez customisées ?

En 1, la paire du Gabon pour Pierre-Emerick Aubamayang. C’était une paire spéciale car elle était dédiée à la sélection nationale et parce qu’il nous avait demandé un packaging particulier. Et puis, le rendu final était vraiment sympa.

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En 2, je dirais la paire pour Didier Drogba « ensemble pour la paix » car la symbolique était vraiment forte. Et en 3… C’est compliqué car chaque paire a son histoire. Bon allez, je vais dire celle d’André Ayew pour son dernier match avec l’OM au Vélodrome parce qu’il a fallu utiliser plusieurs techniques différentes sur la chaussure. Parce que l’OM est quand même un club mythique donc il fallait se montrer à la hauteur et qu’André voulait faire passer un message particulier aux supporters.»

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Crédits Photos : Orravan Design

(article publié la première fois le 06/05/2016)

1 commentaire

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Nick Arnaud

Publié le 6 mai 2016 à 18 h 45 min

Ce gars fait du très bon boulot.En voyant les chaussures d’Aubameyang contre Schalke,j’avais pensé que Nike est entrain de prendre une nouvelle dimension.Et après je me suis que PEA est devenu la nouvelle tête de gondole de Nike et qu’il était passé devant les CR7 et NJR.Vraiment Bravo Orravan Design

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